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Creusons le Puy aujourd'hui, pour les soifs de demain.

  • VAV
  • 21 févr. 2020
  • 7 min de lecture

Ou comment évoquer le bio avec Émilien et la biodynamie avec Barthélémy.



Sur la propriété du Château le Puy, Mars 2018.

De retour de la région viticole espagnole de Ribeira del Duero, je traverse la région bordelaise. L’occasion est trop belle : je prends rendez-vous avec Steven Hewison, le maître de chai du Château le Puy. C’est un domaine en culture bio et biodynamie.


Tout a commencé il y a quelques mois chez ma sœur Aude, férue de vins comme Gaël, son mari. Nos conversations vont toujours bon train : le bio est-il un gage de qualité gustative ? Sa méthode de culture est-elle respectueuse de l’environnement ? De quoi égayer nos soirées dégustations, avec pour ma part un zeste de mauvaise foi et ma sœur une once de jusqu’au-boutisme.


Ce soir d’hiver 2017, Gaël a ouvert la cuvée Émilien du Château le Puy. Le vin est frais, sur le croquant du fruit malgré quelques années en cave, complexe. Il diffère aussi de tous les vins que j’ai dégustés en bordelais.


La "mémoire" du savoir-faire d'un domaine viticole : les vieux millésimes dans la cave du château le Puy.

Quelques semaines ont passé. Me voilà devant l’excellente carte des vins de la Table de Guy, sur la commune de Bron. Vous connaissez ? Guy Jandard est un chef lyonnais et un fin connaisseur de vin. Philanthrope, il ouvre sa cave personnelle et propose une sélection de vins qui ferait pâlir les plus grands étoilés français. Des crus prestigieux comme de jolies découvertes, des millésimes anciens à prix raisonnables : un ovni dans le paysage terne des cartes de vins françaises.


Je parcours lentement la carte. Rhône. Bourgogne. Bordelais. Les châteaux défilent.


Cuvée Émilien, Château Le Puy, millésime 2005.

Une bonne occasion de me faire un avis plus tranché, après ma première impression.


Je la propose à Damien, mon acolyte du moment, ami photographe et grimpeur passionné. La bouteille sur table est à moins de 50 euros. Le vin est excellent, les tanins sont fondus, le fruit est tout en rondeur. Le temps passe et avec lui le vin évolue aussi, pour notre plus grand plaisir. Un grand vin.


Et comme un grand vin est indissociable de la personne qui le fait, me voilà quelques mois plus tard devant la grille du château.


Mars 2018, Saint-Cibard, région bordelaise. Je passe le pas-de-porte.


Les présentations sont faites : je partage la visite avec Erwan, un jeune caviste qui distribue les vins du Château le Puy en Bretagne. Frédérique Roine, la commerciale, ainsi que Steven Hewison, maître de chai et chef de culture, sont nos hôtes.


Je prends appui sur la longue table en chêne massif afin d’enfiler une belle paire de chaussettes "le Puy" rouge et blanche. J’ai bientôt aux pieds les bottes que Steven m’a tendues. Et nous voilà déjà sous l’averse printanière qui tombe drue, à la découverte du terroir. J’aime cette approche : commencer par arpenter la terre, les vignes. Visiter le vignoble, s'imprégner du lieu pour mieux voyager autour du vin.

Nos pas alourdis par la glaise, nous marchons entre les rangs de la vigne qui donne la cuvée Barthélémy.


La parcelle dont est issue la cuvée Barthélémy du Château le Puy.

Bientôt, nous entrons dans un bois. Par la trouée des arbres, nous apercevons plus bas la vallée de la Dordogne. Devant nous se dressent des pierres, érigées dans le sol depuis plusieurs centaines d’années. Elles forment un cercle parfait. Ces géants minuscules sont l’empreinte de civilisations antiques et de leurs lieux de culte. En prêtant l’oreille, il me semble entendre les roches qui conversent. Ou peut-être est-ce le vent qui se fraie un passage dans les arbres.


La marque des civilisations antiques, à quelques pas de le Puy.

Frédérique et Steven nous font partager la philosophie du domaine et répondent à nos questions alors que nous nous dirigeons vers le château.


Ils préparent leur "500", très utilisée en biodynamie. C’est la fermentation dans le sol de bouse de vache dans des cornes de vache qui sera ensuite répandue entre les ceps.


En cave, la cuvée Émilien que j’ai découverte il y a quelques mois, est vinifiée avec le moins possible de dioxyde de soufre. La fermentation alcoolique (transformation des sucres en alcool) se fait en cuve béton par chapeau immergé. C’est l’action de la fermentation qui fait circuler le vin dans la cuve pour permettre une bonne extraction des composés aromatiques et des matières colorantes.


La parcelle du vin Barthélémy, que nous avions traversée tout à l’heure, est labourée au cheval pour ne pas tasser les sols. En effet, le poids des tracteurs compacte la terre, ce qui peut compliquer l’activité de la faune macro et microscopique sous les ceps. Cette cuvée est élaborée sans ajout de dioxyde de soufre. Communément, le SO2 protège les vins de l’oxydation. C’est un antiseptique et un antibactérien. Des antioxydants sont naturellement présents dans la baie du raisin, ce qui pourrait expliquer ici le choix du vinificateur de ne pas ajouter de soufre. Dans ces conditions, il faut une vigilance et une rigueur de tous les instants pour que le vigneron garde ses vins sains durant tout le processus de vinification.


En effet, j’ai souvent dégusté des vins dits “sans soufre ajouté” ou “nature”, à la mode ces dernières années. La grande majorité de ceux-ci ont des défauts œnologiques rédhibitoires : au nez, souvent des "brett". Comprenez brettanomyces, responsables des odeurs d’écurie (purin, sueur de cheval, …). Les "brett" sont souvent la conséquence d’une mauvaise hygiène dans la cuverie. En bouche, les vins sont régulièrement marqués par l’oxydation.


Le marketing de ces vins séduit le consommateur néophyte : puisque le vin est "nature" sur l’étiquette, c’est que les autres ne le sont pas. Il doit donc être de meilleure qualité et meilleur pour la santé. Il est aussi à noter qu’à ce jour, il n’existe pas de cahier des charges ni d’organisme de contrôle pour ce type de vins.


Une dégustation sur fût : l'excellente cuvée Barthélémy, sans soufre ajouté.

A mon sens, ces vins impropres à la consommation et leur marketing controversé desservent les domaines qui travaillent correctement avec ce type de production, sans soufre ajouté, comme la cuvée Barthélémy du Château le Puy. Ces exploitations viticoles écrivent d’ailleurs rarement sur l’étiquette la mention "nature", de peur sans doute d’être confondues avec les premiers.


Un principe auquel je m'astreins quant à la qualité "gustative" d’un vin : quels que soient les types de culture ou d’élevage, seule la dégustation doit prévaloir. Ce qui n’empêche pas de voyager un peu plus loin que le fond de son verre.


Quelques remarques préalables :

- En agriculture dite conventionnelle, un large consensus existe pour dire que les traitements chimiques de synthèse utilisés sont dangereux pour l’homme et l’environnement. - Il existe des organismes certificateurs indépendants qui contrôlent les vins bio ou en biodynamie, contrairement aux vins "nature". - Pour la première fois, une étude récente vient de valider la thèse que manger (et boire ?) bio serait meilleur pour la santé.

Pourtant, on peut aussi avoir un esprit critique quant aux vins bio ou en biodynamie.

En effet, la "bouillie bordelaise", pesticide naturel pour traiter les maladies de la vigne telles que le mildiou, est un mélange de...soufre et de cuivre. Le cuivre est un métal lourd qui pollue les nappes phréatiques. Présent en quantité excessive, il détruit les champignons souterrains et élimine les vers de terre. Ces derniers sont à l’origine de la formation de l’humus qui retient l’eau et les nutriments sur la partie haute des sols.


Malgré la masse d’informations qui circule, il est pratiquement impossible, quand on compare les cultures alternatives ou conventionnelles, de savoir laquelle est la moins néfaste et à quel niveau.


Pour rendre la comparaison encore plus complexe, évoquons le « bilan carbone » : la bouillie bordelaise est lessivée par la pluie. Ce qui oblige le viticulteur à traiter après chaque averse, alors que les traitements chimiques de synthèse sont quant à eux “pénétrants”. Ce qui leur permet de résister plus durablement aux intempéries.


De mémoire, le vignoble de Saint-Émilion après la pluie, Mars 2018.

Château Lafon-Rochet, à Saint-Estèphe vient d’annoncer publiquement qu’il renonçait à la viticulture bio en pointant du doigt le cuivre.


Cruel dilemme pour le vigneron qui souhaite diminuer son impact sur l’environnement.


D’un côté, un pesticide naturel nocif qu’il va devoir répandre plusieurs fois après chaque intempérie et donc multiplier ses trajets en tracteur et sa consommation de carburant. De l’autre, un pesticide de synthèse dont la dangerosité pour l’homme et pour l’environnement n’est plus à prouver. Il fera pourtant moins de trajets en tracteur, utilisera moins de carburant et tassera moins ses sols.


Communication habile ou réelle prise de conscience de la part de Lafon-Rochet, la question reste néanmoins posée : si revenir à la culture conventionnelle est une impasse et que le bio et la biodynamie ne sont pas la panacée, quelles sont les cultures agricoles alternatives ? Mon ami Florian a quitté la start-up lyonnaise qui l’employait pour devenir paysan. Il expérimente actuellement différentes pistes pour répondre à ces questions.


Le chai à barriques du Château le Puy.

J'arrête là cette digression. Revenons au Château. Après la visite des terres, nous voilà avec Erwan dans le chai.


Sur fût, nous goûtons les millésimes 16 et 17. Des vins droits, honnêtes, un vrai plaisir. Et c’est une satisfaction pour moi de toucher du doigt la genèse des vins qui m’ont fait si grand effet il y a quelques mois. C’est un aboutissement, une quête qui prend fin.


Il est aux alentours de midi quand Erwan et moi nous prenons congé de nos hôtes, après les avoir chaleureusement remerciés.

Alors que nous sommes prêts à monter dans nos voitures respectives, un homme vient nous saluer sur le parking.


"Bonjour, je suis Pascal Amoreau, le propriétaire du domaine".

La conversation s’engage alors sur la visite que nous venons de faire. Et monsieur Amoreau de nous lancer :


"Vous faites quoi les jeunes" ?

Nous lui indiquons que nous nous apprêtons à quitter les lieux chacun de notre côté. Sur ces entrefaites, Steven sort du château, sans doute pour aller déjeuner.

"Steven, prends une quille, ils viennent manger avec nous !".

Le ton est donné. Et de nous préciser :


"On va à la cantine" !


Comprenez : on vous emmène dans un troquet des environs pour manger local.

Pascal Amoreau nous invite à monter dans sa voiture. Steven est copilote alors qu’Erwan et moi nous sommes installés à l’arrière.


Nous arrivons bientôt au bar-restaurant "Le Prince Sarment" à Petit-Palais. Point de chichi ici. Les plats sont simples, les mets sont frais du matin, les prix modiques, la bouteille du cru déjà ouverte sur les tables.


On salue chacun en slalomant entre les groupes en direction du comptoir. Ici, tout le monde se connaît. Viticulteurs, artisans ou commerçants forment une joyeuse assemblée quelque peu chambreuse.


Après un picon-bière, nous voilà attablés. Une soupe à l’ail et aux pommes de terre précède la morue fraîche. Les plaisanteries ricochent entre les tables. Avec Erwan, nous ne cessons de nous resservir du Barthélemy 2012, que Steven a eu l’excellente idée d’apporter.


Le plateau de fromage passe de table en table et le dessert est vite avalé. On essaie de payer la note mais Pascal et Steven nous renvoient dans nos vingt-deux. Nous quittons l’endroit, l’éclat de rire encore sur nos lèvres, le digestif à peine avalé.


Steven Hewison, Barthélémy, Pascal Amoreau et Erwan.


 
 
 

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